"Présences proches, c'est ainsi que se désignaient eux-mêmes les jeunes gens qui étaient venus vivre dans la région de Monoblet, un village des Cévennes, près de Fernand Deligny et des premiers enfants autistes qui lui étaient confiés. Ces jeunes gens étaient "comme par hasard", dit Deligny, des paysans ou des ouvriers en sortie de route (en rupture ?) et "comme par hasard", les autistes étaient les cas les plus lourds, de ceux qui ne parlent pas du tout et tentent de se cogner la tête contre les murs, c'est-à-dire ceux que la société ne supporte pas. Renaud Victor était l'un de ces jeunes gens.
La plus belle séquence de "Ce gamin, là", son premier film, est un long repas, de la préparation jusqu'à la vaisselle, sous un abri de branchage, et tout autour il neige, d'un groupe d'enfants mêlés à leurs éducateurs. Ni les uns ni les autres ne disent un mot. La scène est magnifiquement filmée par l'apprenti cinéaste Renaud Victor. Quand le film sortit et rencontra un succès imprévisible, il y eut deux types de réactions. Les uns furent sensible à l'ambiance de douceur, de tolérance et même de gaité qui se dégageait de ces belles images. D'autres trouvèrent intolérable l'attitude des "présences proches", l'absence de pratiques thérapeutiques. Mais cette école de partage d'une vie coutumière a marqué les esprits et les corps de ceux qui y ont travaillé.
A Marseille, à la prison des Baumettes pour "De jour comme de nuit", n'est-ce pas sa mémoire de "présence proche" qui permet à Renaud Victor d'être admis dans les coursives et les cellules, de partager l'enfermement de jour comme de nuit. Là on parle et on pose sans relâche la question : "Où est la liberté?".
Notre participation à cette aventure, cette expérience, cette tentative comme dit Deligny, pour modifier les relations entre les humains, est un travail de mémoire. L'histoire que nous racontons pourrait être une histoire triste, celle de Renaud Victor, arrivé au mitan de la vie, qui se jette dans la réalisation de ses deux derniers films avant d'être emporté par un cancer. Cette histoire est au contraire pleine de vie."
- Bruno Muel
Ouvrage publié avec le soutien de la Ville de Marseille, de 13 Productions, de Film flamme, de Lieux Fictifs et des Films d’ici.